Appel à contribution pour la revue Francofonia : Kalisky l’intempestif? Relectures contemporaines d’une œuvre du XXe siècle

Brusquement interrompue par sa disparition en 1981, l’œuvre du dramaturge belge d’origine juive polonaise René Kalisky (1936-1981) se concentre presque entièrement sur la décennie 1970-80. Depuis, elle semble avoir acquis un statut paradoxal. Qualifiée par certains critiques d’« incontournable » au sein de la production théâtrale francophone (M. Quaghebeur), elle reste cependant relativement peu étudiée, et rares sont les pièces qui ont été montées depuis les années 1980.

Plusieurs éléments peuvent expliquer ce paradoxe : d’un côté, l’étroite collaboration de Kalisky avec Antoine Vitez, dont il était devenu l’auteur contemporain, lui confère une place éminente dans l’histoire du théâtre francophone. D’un autre côté, une esthétique réputée difficile, presque baroque par certains aspects, et la façon dérangeante dont il aborde les sujets de l’histoire du XXe siècle, tendent à marginaliser son œuvre.

Le théâtre kaliskien se caractérise par un projet esthétique d’une grande cohérence interne. Il s’inscrit dans l’héritage de Brecht tout en s’y opposant, travaillant la matière historique à partir d’une « poétique de la répétition » (A. Silvestri) et la soumettant à un travail complexe de déconstruction, de mise en abîme, puis de recomposition. Les notions du « sur-jeu » et du « sur-texte », puissants outils esthétiques de cette recomposition, constituent une réponse originale aux défis du langage cinématographique et aux impasses du théâtre post-brechtien, et justifieraient à elles seules qu’on interroge cette œuvre avec un regard renouvelé.

Réfléchissant les catastrophes historiques du XXe siècle de façon « tragique et ludique » (S. Goriely), le théâtre de Kalisky propose une profonde réflexion sur les idéologies meurtrières qui y présidèrent :  le stalinisme (Trotsky, etc…), le nazisme et la Shoah (Jim le Téméraire, Europa, Sur les ruines de Carthage, Aïda vaincue, Falsch), le fascisme italien (Le Pique-nique de Claretta). Le théâtre retrouve ici son rôle profondément politique, il dit son époque, la met en scène en mettant son sens même en jeu, comme dans la pièce consacrée à la mort de Pasolini et à son héritage artistique et intellectuel (La Passion selon Pier Paolo Pasolini). L’ensemble de l’œuvre constitue une tentative de penser les enjeux de son temps : l’histoire du monde arabe et de l’Islam (l’essai sur Le Monde arabe en deux tomes), le sionisme et l’État d’Israël (l’essai Sionisme ou dispersion, le roman L’Impossible royaume, la pièce Dave au bord de mer), la viabilité de l’État belge et son identité (le scénario Charles le Téméraire), les mythologies contemporaines et la société du spectacle (avec Skandalon, une pièce sur la carrière du cycliste italien Fausto Coppi).

Kalisky s’attaque aux sujets brûlants de son époque – ceux qui continuent, en grande partie, de consumer la nôtre − avec un regard très singulier, caractérisé par une volonté de réfléchir aux effets du pouvoir et de l’idéologie dans les intimités et les imaginaires des sujets, et dans leur rapport à la fois dialectique et généalogique avec la tradition juive et biblique. Il n’hésite pas à aborder les zones les plus troubles de la mémoire et du psychisme, à l’échelle de l’individu (Jim le Téméraire), de la famille (Aïda vaincue, Falsch) et des communautés (Dave au bord de mer), en scrutant avec la plus grande acuité, sans aucune complaisance, la « vie psychique du pouvoir » dont parlera Judith Butler. Par sa pensée critique toujours en alerte face aux mécanismes de l’oppression politique et sociale, par sa grande originalité créative, par son choix de regarder l’Histoire du point de vue des « laissés pour compte », Kalisky apparaît incontestablement comme un des représentants de cette « modernité juive » dont E. Traverso déplore la disparition en ce début de XXIe siècle.

La revue Francofonia propose cette année de consacrer un dossier à l’œuvre kaliskienne pour en interroger l’anticonformisme esthétique et idéologique. En quoi Kalisky reste-t-il intempestif, à quelles conditions peut-il aujourd’hui être, au contraire, salué comme opportun? Un certain retour au théâtre du texte et du mythe (comme en atteste le succès public et critique du théâtre de W. Mouawad) peut-il augurer d’une redécouverte ?

Nous accueillerions de manière particulièrement favorable des textes traitant des thèmes suivants : 

  • Le renouvellement du théâtre entrepris par Kalisky et ses enjeux esthétiques ;
  • Sa collaboration avec les metteurs en scène (Antoine Vitez, Marc Liebens, entre autres) ;
  • Les difficultés de réception de son œuvre théâtrale aujourd’hui, que l’hégémonie esthétique des propositions dites « post-dramatiques » explique en partie mais qui requiert une interrogation à part entière 
  • La question de l’intertexte dans ses œuvres, notamment le texte biblique, mais également l’œuvre de R. Gary et de Pasolini 
  • Les adaptations et l’intermédialité : l’adaptation d’Europa de Romain Gary par Kalisky, l’adaptation cinématographique de Falsch par les frères Dardenne ;
  • La méditation autour de l’identité belge, d’une part, et de l’identité juive, de l’autre, à travers leur confrontation aux impasses de l’histoire et aux traumatismes profonds (collectif et individuels) de l’époque, ainsi qu’aux actions des États (belge, israélien)
  • L’écriture de la Shoah dans le théâtre de cet auteur dit « de la seconde génération » ou de la « génération 1,5 » (Susan Suleiman), dont le père fut assassiné à Auschwitz et qui fut enfant caché pendant le génocide
  • Son interprétation du rôle civique de l’écrivain dans la société contemporaine.

Les propositions d’articles (environ 300 mots) peuvent être envoyées aux adresses suivantes : kalisky@zfl-berlin.org ; asilvestri@unisa.it avant le 15 janvier 2016 ; l’acceptation des propositions se fera avant le 31 janvier ; la date pour la remise des textes est le 31 mai 2016.

Beitrag von: Aurelia Kalisky

Redaktion: Redaktion romanistik.de