Restes de légendaire dans les récits de filiation contemporains

Dossier proposé par Aurélie Barjonet (Université de Versailles St-Quentin-en-Yvelines) et Doris Eibl (Université d’Innsbruck), à paraître dans : Revue des sciences humaines

« Ce qui reste, les poètes le donnent. »
Friedrich Hölderlin

En 1996, Dominique Viart parle pour la première fois de « récit de filiation » pour désigner ces textes littéraires non fictionnels rédigés sur des ascendants plus ou moins éloignés, qui se multiplient à partir des années 1980 et « déplacent l’investigation de l’intériorité vers celle de l’antériorité ». Quand le passé est particulièrement lacunaire, le récit se fait enquête « archéologique », le narrateur-descendant rivalisant avec l’historien par sa collecte d’archives et son « éthique de la restitution ». Parfois, il se déplace même comme un ethnologue sur le terrain. En France surtout, la forme-enquête est préférée à des formes traditionnelles, comme la saga familiale des époques réaliste-naturaliste et moderne, sagas qui étaient un prétexte pour écrire un roman historique. De fait, l’enquête se pense même contre la saga et le roman historique puisqu’elle part du présent pour retrouver le passé, qui n’est pas donné, mais à conquérir. Le narrateur n’a de cesse d’insister sur la fragilité de l’écriture de l’Histoire. Le récit sous forme d’enquête se donne ainsi comme plus innovant, plus littéraire, et offre la possibilité de parler de soi tout en commentant sa recherche. Il permet aussi de rapprocher la littérature des autres sciences humaines, de rappeler qu’elle peut être un outil de connaissance.
En dépit de la volonté affichée de faire toute la lumière sur les légendes familiales, les enquêtes littéraires écrites récemment par des descendants de victimes ou d’acteurs d’événements historiques ne renoncent pas totalement à l’idéalisation des ancêtres, et plus largement à l’embellissement de leurs origines et donc à la sentimentalité (si vilipendée par Theodor Adorno après Auschwitz). Peu de chercheurs l’ont relevé, mais c’est par exemple le cas de Nelly Wolf qui montre qu’en dépit du travail de savoir affiché, le conte et le légendaire sont réintroduits par le fait que le narrateur-enquêteur devient un héros faisant face à des obstacles, des adjuvants, découvrant des trésors. Outre l’analogie structurelle au conte, le légendaire peut être présent sous la forme de foi dans un destin, le recours à la pensée magique, un attachement à un certain folklore, certaines allusions thématiques (grotte, château, noblesse…), à la mythologie (genèse, mythe d’Orphée, d’Enée, femme de Lot…), ou encore prendre la forme d’incursions dans le surnaturel, au fil des hypothèses énoncées.
Cette survie de l’idéalisation, au sein des enquêtes généalogiques contemporaines, a certainement plusieurs causes: incapacité à se transporter réellement dans le passé, besoin irrépressible de « roman familial », mécanisme de défense, fantasmes rétrotopiques, notamment de communauté ou de ressemblance, ou encore volonté de trouver une issue positive, consolatrice voire réparatrice à un travail de savoir sur sa famille. C’est sur ces causes que notre dossier voudrait s’interroger. Plus largement, il vise à détecter et à analyser cette présence souvent inconsciente dans une vaste littérature d’investigation non-fictionnelle écrite en français par des descendants. Nous ne pensons pas exclusivement à des descendants de victimes de la Shoah, quoique cet événement reste matriciel dans l’écriture littéraire contemporaine de l’Histoire.
La littérature, aussi objective et scientifique qu’elle se donne, peut-elle totalement échapper à l’héroïsation, a fortiori quand elle (ra)conte l’histoire familiale ? C’est évidemment la question ultime que nous posons.

Les propositions de communication sont à envoyer au plus tard le 1er décembre 2022 à resteslegendaire@gmail.com, incluant un titre et un résumé d’environ 150 mots en français, elles seront accompagnées d’une brève notice bio-bibliographique. Le texte final sera à rendre le 31 mars 2023, pour une parution du dossier fin 2023-début 2024.

Aurélie Barjonet et Doris Eibl

Beitrag von: Doris Eibl

Redaktion: Robert Hesselbach