Stadt: Montréal, Kanada

Frist: 2015-03-15

URL: http://musemedusa.com/medea/

Dossier MuseMedusa 2015

Medea nunc sum : refigurer le mythe de Médée
Sous la direction de Marie Carrière

La tragédie By the Bog of Cats par la dramaturge irlandaise Marina Carr ne laisse place à aucun doute quant à son intertextualité avec la Médée infanticide d’Euripide. Le lendemain matin de la première de cette pièce de Carr à San José en Californie, le World Trade Center s’effondrerait. Un terrorisme de large envergure avait frappé les États-Unis, et cela en plein cœur de sa grande métropole new-yorkaise. Dans cette suite des terreurs du 11 septembre, les spectateurs de San José accepteraient-ils désormais de se confronter encore à une scène d’horreur, rien de moins que celle d’une mère qui tue son enfant ? Pourrait-on répéter et de nouveau subir la terreur, alors que le replay des avions projetés sur les Tours Jumelles et le Pentagone occupait sans relâche les chaînes de la télévision nord-américaine ? Dans son extrême saisie du pouvoir social et juridique, dans la violence de son ultime refus de l’ordre qui a voulu l’annihiler, elle, Médée – princesse colchidienne, un peu sorcière, toujours étrangère parmi les Corinthiens – n’était-elle pas terroriste à son tour, aux prises d’une violence inapaisée qu’elle déchaînerait soir après soir dans la Silicon Valley sur ses victimes sacrificielles ? Avec l’actrice américaine célèbre Holly Hunter dans le rôle principal de Hester Swane, la tragédie médéenne se voulait, de toute évidence, actuelle dans sa méditation sur la violence, le heurt entre les cultures, et la culpabilité. Elle combla la salle de spectacle pendant tout le courant de son édition californienne à l’automne 2001. « It was a trail of pilgrimage. Forty-thousand people coming up from Silicon Valley to see this dark, dark play in a dark time », rappelle Marina Carr.

Barbare parmi les Grecs, laissée-pour-compte par Jason désirant se remarier avec la fille du roi Créon, et sur le point d’être bannie de la cité et de voir ses enfants devenir soit apolis avec elle, soit perdre la vie aux mains des Corinthiens, Médée assure elle-même la tâche de leur mise à mort, pour faire écrouler toute la maison royale : « Puisqu’à tout prix il faut qu’ils meurent,/ c’est moi qui vais les tuer, moi qui leur ai donné la vie » (Euripide, Médée, v. 1063-1064). Depuis ses balbutiements archaïques et ses multiples réincarnations modernes, Médée parle, crie, explique et dérange : dans le théâtre futuriste de l’auteure chicana Cherríe Moraga (The Hungry Woman : A Mexican Medea, 2001) ; l’adaptation du Medea/Medeamaterial de Heiner Müller par Brigitte Haentjens au Québec en 2004 ; le film pour la télévision danoise de Lars von Trier (Medea, 1988) ; le roman sénégalais de Mariama Bâ (Le chant écarlate, 1981) ; le poème “Edge” de Sylvia Plath (Ariel, 1965) ; le cinéma de Pasolini avec Maria Callas dans le rôle principal (Médée, 1969) ; le monologue tragico-comique de Médée du spectacle Tutta casa, letto e chiasa (1977) de Franca Rame et Dario Fo ; les chorégraphies de Martha Graham (Cave of the Heart, 1946) ; les tableaux de Moreau (1865) et de Delacroix (1962) ; l’opéra de Cherubini (1797); le Médée classique de Corneille (1635) ; la revendication de Christine de Pizan dans Le livre de la Cité des dames (1405). Par moments Médée est disculpée de ses crimes filicides, ainsi par le mythographe Robert Graves (The White Goddess, 1961) ou la romancière allemande Christa Wolf (Medea Stimmen, 1996) ; ou alors elle est figure de monstruosité, par exemple chez Sénèque et Anouilh (Médée : Nouvelles pièces noires, 1946) qui nous livrent une Médée endiablée et hystérique. Or, il arrive à Médée d’être lucide, juste et coupable, et dans ce cas fort plus difficile à cerner. Il arrive à Médée d’être foncièrement humaine, comme l’auraient voulu Euripide au IVe siècle athénien, Marie Cardinal dans La Médée d’Euripide (1986) et Toni Morrison dans son grand roman esclavagiste, Beloved (1987). Enfin, malgré ses racines remontant aux plus anciens cultes d’Hécate de l’ère archaïque (850-450 av-J.C.) – des racines plus rhizomatiques qu’imprégnées dans une seule terre, temporalité ou culture –, aussi Médée serait-elle toujours déjà contemporaine. « Medea nunc sum », « Maintenant je suis Médée », aura déclaré la Médée de Sénèque (v. 910).

Ce dossier se consacre aux lectures critiques que nous faisons aujourd’hui de diverses reprises du mythe de Médée. Toutes époques et toutes formes d’adaptation mythique – cinéma, théâtre, opéra, musique, fiction, poésie, arts visuels, danse – seront pertinentes. Nous nous intéressons d’emblée aux analyses critiques qui aborderont une conscience vive de notre temps présent, ne serait-ce un temps de crises sociales ou d’angoisses existentielles, de fins idéologiques, de reconsidérations épistémologiques, ou encore de repositionnements éthiques et politiques, venant conjuguer nos lectures actuelles de Médée. Comment lit-on au XXIe siècle le mythe de Médée dans ses diverses adaptations, transpositions ou réécritures ? Pourquoi, par exemple, la Médée d’Euripide ou de Pizan ou de Wolf serait-elle encore si pertinente, si actuelle, de nos jours? Qu’aurait à dire ce mythe sur nos flux transnationaux, notre mondialisation, nos rapports de force, nos affects, nos traumas et nos espoirs actuels? Les travaux sollicités par cet appel à contributions se façonneront à partir d’une réflexion critique située, consciente de sa propre contemporanéité, que celle-ci soit occidentale, orientale, locale ou planétaire, abordant donc l’actualité continue de Médée dans ses incarnations ou anciennes ou modernes.

Les contributions (en français, anglais ou allemand ; max. 30 000 signes, espaces comprises) accompagnées d’un résumé (en français et anglais ou allemand) et d’une brève notice bio-bibliographique sont à envoyer à carriere@ualberta.ca et à revue@musemedusa.com, avant le 15 mars 2015. Prière de suivre les consignes précises du protocole de rédaction.

Beitrag von: Andrea Oberhuber

Redaktion: Christof Schöch